Quel regard portez-vous sur cette crise sanitaire ?
D’abord, elle s’inscrit, dans la propagation fulgurante du virus, comme le résultat de l’imbrication des rapports économiques mondiaux. Nous savions que la mondialisation était déjà dangereuse. Pour preuve, la crise de 2008-2009 avec la chute du système financier mondial, dont nous avons mis dix ans à nous remettre.
Là, c’est l’imbrication des différentes économies qui a démontré la fragilité des nations préférant faire confiance à l’importation, au lieu de privilégier leur propre capacité de production qu’elles n’ont pas voulu construire, entretenir, préserver. Faute de "Made in France" et d’investissement dans le "Made in France", nous n’avons pas de masques, pas de gel hydroalcoolique, de respirateurs en nombre suffisant, ni de tests. Et il a donc fallu utiliser les méthodes de confinement du Moyen Âge, comme à l’époque de la peste bubonique, pour adapter notre politique de lutte contre le Covid-19.
La pandémie et la crise sanitaire qui en découle condamnent-elles la mondialisation ?
Notre pays est en train de réfléchir aux conséquences de cette économie mondialisée. Nous ne sommes toujours pas sortis de la crise de 2008-2009, avec des pertes de capacité industrielle, un niveau de chômage sans précédent, etc. à cela, il faut ajouter la perte de notre indépendance technique, technologique, économique.
Les Français peuvent donc se rendre compte que la mondialisation est un excès. Elle a d’ailleurs été une religion intouchable avec ses gourous. En vérité, elle a été faite par la classe dirigeante des vingt dernières années, qui a organisé la compétition mondiale entre les systèmes économiques et sociaux du monde, par l’abaissement des droits de douane, l’intensification du commerce, la mise en concurrence généralisée…
Un choix qui, aujourd’hui, est en train d’être révisé dans les consciences.
Ne pouvions-nous pas l’anticiper ?
Bien sûr que oui… Lorsque j’étais ministre de l’Économie et du Redressement productif, j’ai lancé des plans industriels où nous avions uni la puissance publique et les grandes entreprises de 34 secteurs dans le but d’améliorer notre indépendance technologique et de reconquérir des parts de marchés. Ils organisaient des ententes vertueuses entre entreprises de plusieurs secteurs.
L’un d’eux concernait les équipements de santé et la médecine de diagnostic et hospitalière. Nous avions observé, qu’en la matière, nous avions un déficit commercial de près d’1 milliard d’euros d’importation. Autrement dit, que nous étions dépendants du reste du monde sur tous nos équipements de diagnostic.
Si ce plan, comme quasiment tous les autres, discrètement abandonnés par mon successeur à Bercy en 2014, aujourd’hui président de la République (Emmanuel Macron, NDLR), avait été poursuivi, beaucoup plus d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou de petites et moyennes entreprises (PME) pourraient répondre aux impulsions de l’État pour fabriquer les équipements de santé dont nous avons besoin aujourd’hui.
Sur le plan technique, nous sommes dépendants de la base de la plupart des antibiotiques, des médicaments hospitaliers dont nous avons besoin pour lutter contre le virus, et particulièrement des tests qui vont nous permettre de déconfiner.
Cette dépendance est le résultat d’une politique budgétaire où nous n’avons jamais voulu utiliser la commande publique à des fins patriotiques. On a préféré acheter en Chine plutôt que de défendre l’outil industriel "Made in France".
Depuis le début de la crise, nous n’avons jamais autant parlé de réindustrialisation, de relocalisation, d’indépendance économique… Qu’est-ce que cela vous inspire ?
D’abord, un gâchis considérable lié au temps perdu. Entre-temps, nous avons laissé partir Alstom, Latécoère, Technip, Lafarge, STX, Alcatel… Nous avons nous-mêmes abandonné à l’étranger beaucoup de nos capacités industrielles, technologiques, de recherches scientifiques et nos centres de décision dans des secteurs très importants : l’énergie, les télécommunications, et même l’aéronautique.
Je me réjouis donc que tout le monde se mette à repenser au "Made in France" mais je trouve qu’il est tard. Je suis toujours surpris que ceux qui défendaient encore la mondialisation il y a trois mois changent aujourd’hui de costume pour la condamner.
Comment l’État a-t-il pu, décennie après décennie, rester impuissant face aux délocalisations et la perte de nombreux fleurons économiques ?
Le virus sème la panique et la désorganisation. On a organisé la destruction méthodique de l’État à cause des politiques d’austérité depuis maintenant une dizaine d’années. Il est devenu un fantôme. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle j’ai quitté avec force le gouvernement en 2014. J’avais dit au Président d’alors, François Hollande et au Premier ministre, Manuel Valls, qu’il était inacceptable la façon dont on tuait l’économie par l’idiote austérité inspirée de la Commission européenne.
Le recours à la nationalisation, est-ce une solution ?
La nationalisation est l’outil par lequel une nation décide de garder le contrôle de l’outil productif. Je l’avais proposé contre Arcelor-Mittal, pour Alstom… On m’a répondu que l’on n’était pas au Venezuela. Je suis toujours heureux que l’on puisse reconnaître que la nation a besoin de faire prévaloir son intérêt public d’investisseur. Elle doit être plus forte que les intérêts privés.
Quelle est la recette ou du moins les bons ingrédients pour réindustrialiser la France et assurer son indépendance dans les secteurs stratégiques ?
La bonne méthode me paraît être la mobilisation de toutes les ressources de financements publics, et privés, de la recherche publique-privée. Le pilotage doit être de nature entrepreneuriale, géré par des personnes qui prennent des risques, mais il faut allier l’esprit entrepreneurial français aux ressources de l’état, l’agilité et l’intelligence du privé à la force régalienne de la puissance publique. C’était d’ailleurs l’esprit des 34 plans industriels. S’ils avaient été mis en œuvre, ils auraient permis d’être plus engagés et plus forts sur le terrain sanitaire parce que nous aurions uni nos forces.
Cette crise peut-elle relancer les relocalisations ?
Elle doit être l’occasion de réviser la fiscalité sur les entreprises multinationales. Avec, pour message : "Plus vous produirez sur place, moins vous serez taxé, plus vous produirez loin, plus vous serez taxé".
Y a-t-il aujourd’hui un réel esprit patriotique ou est-ce un effet coronavirus ?
Il y a, je pense, une réflexion des Français qu’il faut saluer. Ils méditent collectivement sur la manière d’organiser différemment leur indépendance. La classe dirigeante, elle-même, devra réviser profondément les jugements qui ont dominé le système économique et politique depuis trente ans. Néanmoins, mieux vaut tard que jamais.
Arnaud Montebourg
Ancien ministre du Redressement productif de François Hollande de 2012 à 2014, Arnaud Montebourg, auteur de Votez pour la démondialisation (2011), La bataille du Made in France (2015) et Le retour de la France (2016), est un chantre du patriotisme économique. Sorti de la politique après son échec à la primaire de la gauche en 2017, il est désormais, à 57 ans, fondateur de Bleu Blanc Ruche, La Mémère et La Compagnie des Amandes, trois entreprises équitables dans l’alimentaire.
Publié le 10 mai 2020 sur https://www.midilibre.fr/
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- Savoir-French @SavoirFrench· 11 mai 2020
"On a préféré acheter en Chine que défendre l’outil industriel français"
https://midilibre.fr/2020/05/10/on-a-prefere-acheter-en-chine-que-defendre-loutil-industriel-francais,8880869.php
via @Midilibre
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- Pierre Moal @PMoal29 · 30 avril 2020 Montebourg, l’anti-Macron
@montebourg dénonce les ravages de la mondialisation et le fait qu’@EmmanuelMacron a été l’un des artisans de la délocalisation d’une partie de l’appareil productif français.
https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-politique/le-billet-politique-du-jeudi-30-avril-2020
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