Arnaud Fontanet du Conseil Scientifique répond dans « C’est à vous » @CàVous
Covid-19 : Tests : de quoi avons-nous manqué ? le 25 juin 2020
Patrick COHEN
Est-ce qu’il n’y a pas eu de problèmes de validation et des retards de validation scientifique ou administrative de la part de l’Institut Pasteur, comme cela a été dit ?
Arnaud FONTANET
En tant que CNR, l’Institut Pasteur faisait l’évaluation des tests.
Tests qui pouvaient être soit des tests de détection du virus, la PCR, soit des tests de sérologie. En revanche, la validation se fait ailleurs. Elle se faisait au ministère de la Santé et nous, en tout cas, nous avons fait notre travail d’évaluation.
Patrick COHEN
Qu’est-ce qu’il a manqué ensuite ? Est-ce que comme l’a dit le professeur Didier Raoult, faire des tests, on avait tous les moyens de le faire ? C’était comme il l’a dit « une idée de bébé ». Ou est-ce qu’il a manqué du matériel, des écouvillons, des réactifs, des choses comme ça pour augmenter la puissance du dépistage en France ?
Arnaud FONTANET
Si l’on regarde effectivement les besoins que l’on aurait dû avoir en février 2020, oui, je pense que l’on a manqué de tests. Après, il y a l’Allemagne qui a été de ce côté-là très performante. Il y a eu la Corée du Sud. Je ne connais pas d’autres pays qui aient réussi à développer des tests dans les quantités qu’il aurait fallu avoir juste après la mise au point de ces PCR, etc. Je partage tout à fait le constat que pour la préparation vis-à-vis d’une prochaine crise, il faut que l’on repense la façon avec laquelle, une fois que le test a été élaboré, ce que le CNR a fait, comment est-ce qu’après, on peut assurer sa diffusion, sa distribution, s’assurer que les réactifs sont là, que l’on ne tombe pas en panne d’écouvillons ?
Anne-Élisabeth LEMOINE
Mais pour cela, il faut une logique industrielle, mise en place en amont.
Arnaud FONTANET
Sans doute. Je pense qu’il faut que l’on y réfléchisse. Les Coréens par exemple avaient une compagnie très proche du gouvernement qui s’est chargée de la production en masse et de la diffusion et je crois que des processus comme ceux-là devront effectivement être réfléchis pour la prochaine crise. Parce que je suis d’accord pour dire que l’on n’a pas eu assez de tests au moment où l’on en avait besoin. Mais voilà, on s’est retrouvés avec, je crois, 3 000 tests par jour, la première semaine de mars 2020. Les Allemands étaient à 20 000 tests par jour à ce moment-là. Les autres pays européens étaient au même niveau que la France. Mais ce n’est pas suffisant, je suis d’accord, et il faut faire mieux.
Patrick COHEN
Dernière chose, parce que c’est vraiment très intéressant. Est-ce qu’il y a eu des restrictions au niveau des laboratoires autorisés à faire des tests, comme cela a été dit ? Avec les retards notamment, exemple souvent cité, des laboratoires vétérinaires qui ont attendu plusieurs semaines avant d’avoir l’autorisation de se lancer dans les tests.
Arnaud FONTANET
Là, je sors un peu de ma zone de confort. De ce que j’ai compris, mais je peux me tromper, c’est qu’il y a des histoires d’agréments qui font que tout le monde ne peut pas travailler sur des échantillons humains et qu’il a fallu changer la législation .
Pour permettre à des laboratoires vétérinaires de traiter des échantillons humains. Et c’est ce changement de normes qui a peut-être pris du temps. Mais pardonnez-moi, ce n’est pas mon sujet d’expertise.
Publié par Arnaud Fontanet le 25 juin 2020 dans l’émission france5 « C’est à vous »
« La relation entre la communauté scientifique et le public a beaucoup souffert de la crise ! (…) Il faut recréer un lien avec la population. »
Arnaud FONTANET
Je crois qu’il faut distinguer deux choses. Il y a la relation de la communauté scientifique avec le public qui, je crois, a beaucoup souffert de la crise. Et ça, je trouve ça vraiment dommage parce que l’on arrivait à un moment où je trouvais qu’il y avait entre la science et la population, vraiment un échange, une confiance qui se créait, et effectivement, on a perdu sur ce terrain
En revanche, au sein de la communauté scientifique, je ne partage pas du tout ce constat parce qu’en tout cas, mon expérience personnelle a été au contraire d’une solidarité entre nous, chercheurs, que ce soit à l’intérieur de mon Institut avec les autres chercheurs sur le territoire national, et à l’international, qui a été une expérience fascinante pour moi. Le matin, la première chose que je faisais, c’était de regarder les déclarations de mes collègues, et l’on se téléphonait pour savoir, échanger des expériences sur, « qu’est-ce que vous faites aux États-Unis ? Qu’est-ce que vous faites en Allemagne ? » Je faisais partie du Conseil européen, donc j’étais la personne qui représentait la France au Conseil, à l’Europe avec Christian DROSTEN pour l’Allemagne, Marion KOOPMANS pour les Pays-Bas, Peter PIOT pour représenter l’Angleterre, donc un représentant par pays. Ce sont des échanges passionnants. Quand on était ensemble et que l’on pouvait se dire, « qu’est-ce que vous faites, vous, là ? » Donc je ne partage pas du tout ce constat et au contraire, j’ai trouvé qu’il y avait une solidarité dans la façon avec laquelle on a échangé des informations et l’on a progressé, qui pour moi a été quelque chose que je garderai comme une expérience très positive.
Patrick COHEN
Mais ce n’est pas l’image qui est donnée aujourd’hui au grand public.
Arnaud FONTANET
Ce n’est malheureusement pas l’image qui est donnée au grand public. Je le regrette profondément parce qu’un, cela ne traduit pas la réalité et deux, je crois essentiel de recréer un lien de confiance avec la population qui malheureusement a été perdu au cours de cette crise.
Anne-Élisabeth LEMOINE
Pourquoi a-t-il été perdu au cours de cette crise ?
Arnaud FONTANET
C’est toutes les polémiques qui ont eu lieu et qui ont été largement relayées, etc., mais qui ne reflètent pas du tout d’abord l’opinion que la majorité d’entre nous on partage ensemble, et puis la réalité de la solidarité et de la collaboration scientifique que l’on a eues.
Patrick COHEN
Donc il y a eu une communauté plutôt unie et quelques dissidents ? C’est comme ça que vous le diriez ?
Arnaud FONTANET
En fait, on est des chercheurs, vous savez, et du coup, on aime bien confronter nos idées. Et moi, c’est ce que j’aime dans ce métier, mais ça se fait toujours en bonne intelligence et dans le respect des uns et des autres. Donc ça se passe très bien et il y a eu un travail considérable qui a été fait et d’échanges entre nous tous.
Et vous savez, on parle toujours de la compétition entre les chercheurs, etc. Quand on est face à une crise comme celle-là, que l’on sait que c’est la plus grave crise sanitaire, pour moi, liée à une maladie infectieuse depuis la grippe espagnole, hormis le SIDA, et vous avez vu l’impact que ça a eu.
On se fiche tous de savoir si l’on va être les premiers pour publier sur ce truc. On échange l’info, mais en temps réel, pour se dire, « qu’est-ce qu’on fait pour y arriver, pour sauver des vies, parce que ça va nous tomber dessus ? »
Donc là, franchement pour moi, il y a vraiment eu au contraire, et une fois de plus avec mes partenaires internationaux, une solidarité fabuleuse.
Publié par Arnaud Fontanet le 25 juin 2020 dans l’émission france5 « C’est à vous »
« En tant qu’homme, il y a eu des moments où j’ai été très inquiet ! »
Anne-Élisabeth LEMOINE
Je vous remercie d’être venu si régulièrement pendant cette crise nous aider à comprendre. Je vois bien que vous pesez chaque mot parce que cette crise, elle vous a aussi éprouvé personnellement étant donné l’importance et la responsabilité énorme qui ont pesé sur vos épaules, et la médiatisation parfois violente.
Arnaud FONTANET
J’ai appris la médiatisation. Ça a été une expérience pour moi. Et c’est sûr qu’il y a eu des moments… en tout cas, ça a été très intense. Pour un scientifique, ce n’est peut-être pas bien de dire ça, mais ça a été passionnant. En tant qu’homme, j’ai eu des moments où vraiment, j’ai été très inquiet. Je peux vous dire que juste après le confinement par exemple, de se dire, « ça va marcher. Ça ne va pas marcher. Est-ce qu’il y a un truc qui nous échappe ? », on n’était pas bien. J’ai vécu une très belle expérience humaine, comme je l’ai dit, avec mes collègues pasteuriens et les autres, et aussi avec le Conseil scientifique. Et je veux remercier Jean-François DELFRAISSY. qui est le Président du Conseil scientifique, parce qu’il a créé un groupe. On ne se connaissait pas tant que cela.
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- Jeudi 12 mars 2020 : Réunion du comité scientifique à l’Élysée. Santé publique France a mobilisé l’ensemble de son expertise en épidémiologie et en prévention pour appuyer les pouvoirs publics et les guider dans le choix des mesures de gestion à mettre en place
Je connaissais bien Jean-François. Je connaissais bien Yazdan YAZDANPANAH. J’en connaissais d’autres, mais trois ou quatre personnes en tout et les autres ont été pour moi des collègues de travail fabuleux, avec une approche très multidisciplinaire. Et je pense que dans les moments d’incertitude… Alors j’ai vu une vidéo, je vais leur faire de la publicité, Olivier SIBONY qui parle du biais cognitif et il dit en fait, « quand vous êtes dans ces situations d’incertitude, le meilleur rempart, c’est la multidisciplinarité. » Si vous êtes tout seul convaincu, dans votre champ, de ce que vous devez faire, c’est là où vous pouvez faire de grosses erreurs. Si vous vous entourez de personnes qui viennent avec des champs d’expertise différents, vous discutez et vous apprenez à faire ce que l’on appelle des décisions collégiales. Et nous, on a passé deux heures au téléphone tous les jours, quelquefois plus de deux heures, en continu pendant trois mois. On discutait ensemble et c’est comme ça que l’on a émis nos avis et je pense, enfin je l’espère, que l’on a fait plutôt du bon travail.
Publié par Arnaud Fontanet le 25 juin 2020 dans l’émission france5 « C’est à vous »
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- C à vous @cavousf5 · 25 juin 2020
« La relation entre la communauté scientifique et le public a beaucoup souffert de la crise ! (…) Il faut recréer un lien avec la population. » #ArnaudFontanet du Conseil Scientifique s’exprime dans #CàVous
https://twitter.com/i/status/1276203001129074688
Pour en savoir plus :
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