Il a fallu trois ans de contacts et de relances pour que le prof de maths Olivier Danguillaume parvienne à faire témoigner Ludovic Le Moan, le 2 décembre 2019, devant les élèves du lycée Roosevelt à Reims. Ce quinqua sans façon, en jeans et baskets, n’est autre que le directeur et cofondateur de Sigfox. Cette start-up toulousaine spécialisée dans l’internet des objets (IoT) est proche d’être une « licorne », nom donné aux jeunes entreprises du numérique valorisées à plus d’un milliard de dollars. À peine rentrée de la conférence annuelle de Sigfox à Singapour, cette vedette de la French Tech, égal des patrons de Blablacar ou d’OVH, explique que c’est pour lui un devoir de prendre un peu de temps avec des élèves. « Je n’en serais pas là sans l’Éducation nationale, les bourses et les études quasi gratuites. ».
Du CAP de tourneur à maths spé
Né en 1963 au Havre, Ludovic Le Moan n’a pas toujours été un grand fan de l’Éducation nationale. « J’habitais dans les quartiers difficiles, l’école c’était compliqué pour moi. J’ai fait deux troisièmes, je me suis fait virer du collège, j’étais un peu turbulent. J’ai fait un CAP tourneur, un BEP mécanicien monteur. J’étais passionné de mobylettes que je trafiquais un peu. »
“Je n’en serais pas là sans l’Éducation nationale, les bourses et les études quasi gratuites”
Puis, le zéro de conduite un peu loulou sur les bords est repéré par un professeur. « Il a réussi à me guider dans une voie positive, je me suis mis à travailler, de CAP, je suis passé à maths sup, maths spé ».
Pour le Havrais, ces années de prépa sont les plus belles de sa vie. « J’ai pris les devoirs à faire à la maison comme une énigme. Chaque problème de maths pour moi était un jeu et quand on s’y prend, ça devient passionnant ». Ces jeux le propulsent en tête des concours. Reçu aux Arts et Métiers, doté d’un 18 à l’épreuve de maths à l’X, Ludovic Le Moan choisit l’École nationale supérieure d’informatique et de mathématiques appliquées (ENSIMAG) à Grenoble. « J’avais envie de faire de l’informatique et surtout j’avais envie de faire du ski », confesse-t-il. Dans les Alpes, le matheux « décompresse », préside le BDE, organise des soirées cocktail et des séjours au ski. « Quand le directeur m’a donné mon diplôme, il m’a dit : “Tu ne feras jamais d’informatique, tu feras plutôt du commerce ”. »
Resté un peu insoumis, le jeune diplômé passe ensuite dix ans à faire de l’informatique. Avant finalement de se faire rattraper par le commerce dans une société de services. « Ça m’a déplu, c’est prendre un ingénieur, le payer le moins possible, et ensuite le vendre plus cher au client pour ramener du résultat. » Il décide de créer une entreprise en 2000. La pire année car la bulle internet vient d’éclater. Mais survient un coup de pouce du destin. « Un gars avec qui je jouais au baby-foot à l’ENSIMAG avait eu la chance de faire une bonne opération en bourse et m’a proposé d’investir 2 millions de francs dans mon entreprise. » Il fonde Anyware Technologies, une société spécialisée dans la communication de machine à machine. Il apprend la gestion sur le tas, développe l’entreprise et la revend au bout de huit ans pour lancer Goojet. L’idée est de créer des applications à installer dans les téléphones mobiles de l’époque. Génial, sauf qu’entre-temps Apple invente le smartphone. Comment se battre ? L’entreprise devient Scoop.it, plate-forme de curation de contenu, puis est revendue.
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- Ludovic Le Moan est venu témoigner, en toute simplicité, devant des élèves du lycée Roosvelt, le 2 décembre 2019 à Reims.
“Ma devise est que le monde physique va un jour fusionner avec le monde virtuel”
C’est grâce à une rencontre avec un ingénieur télécom, Christophe Fourtet, que Ludovic Le Moal rebondit. « Ce passionné me dit qu’avec très peu d’énergie, des composants pas chers, on pouvait envoyer des messages très loin. Je me suis dit que si c’était vrai, on allait changer le monde. Je n’ai pas dormi pendant une semaine. » Ludovic Le Moal passe un an à essayer de comprendre et finit convaincu.
Sigfox naît en 2010. « Ma devise reste la même depuis le début, c’est que le monde physique va un jour fusionner avec le monde virtuel. » Pour y parvenir, il faut des capteurs très simples, très peu coûteux, consommant très peu d’énergie car connectés à un réseau à très bas débit. Alors que le monde des télécoms vise le très haut débit (3, 4 puis 5G), les deux compères partent à contre-courant misent sur la « 0G ». Et après neuf ans de labeur, la start-up s’approche du but. Sigfox a déjà levé 300 millions d’euros, compte des centaines de salariés, est déployée dans 65 pays, affiche 16 millions d’objets connectés et vise le milliard en 2023. Sigfox va même lancer des satellites en vue d’atteindre une couverture planétaire en 2021.
Ludovic Le Moan voyage dans les avions présidentiels, a rencontré Barack Obama et convaincu Anne Lauvergeon de présider la start-up. Si les tours de HLM du Havre peuvent lui paraître bien basses aujourd’hui, Ludovic Le Moan semble avoir le vertige quand il regarde le chemin parcouru. « Si je m’étais rendu compte de l’énergie que demandait de construire un réseau de télécommunication mondial, je ne me serais sans doute pas lancé », confie-t-il. L’entrepreneur dit avoir créé Sigfox, plus pour l’intérêt général (lire ci-dessous) que pour le business. Certes il ne retournerait pas à ses antiques mobylettes mais reconnaît qu’il aurait bien aimé aussi faire carrière de chercheur en mathématiques et surtout en astrophysique. C’est la passion cachée de ce rebelle, les pieds sur terre et la tête dans les étoiles.
Julien Bouillé
Sigfox peut “contrebalancer l’hégémonie américaine et chinoise” sur les données numériques
Ludovic Le Moan, né le 1ᵉʳ novembre 1963 au Havre, est un ingénieur et entrepreneur français. Il est le directeur général et un des cofondateurs de Sigfox, une entreprise spécialisée dans l’Internet des objets.
Ludovic Le Moan pense avoir entre ses mains une technologie qui va révolutionner le monde. Il explique qu’un capteur, se suffisant de l’énergie générée par l’acidité d’un citron ou le poids d’un fessier s’asseyant sur un fauteuil, peut permettre d’exploiter des océans de données servant à optimiser la gestion des bâtiments ou l’efficacité de médicaments. « Transférer une donnée d’un objet vers internet tend désormais vers un coût zéro. Il n’y a plus de raison que tous les objets ne soient pas connectés », assure-t-il. Alors que la bataille des données personnelles a été perdue par le Vieux Continent et gagnée par les GAFA américains (Google, Apple, Facebook et Amazon) et les BATX chinois, Ludovic Le Moal pense que la France et l’Europe ont un rendez-vous avec l’Histoire au travers de l’internet des objets. « C’est le sous-marin nucléaire de la souveraineté, si on ne l’a pas, on peut tomber sous le joug d’une puissance qui l’aurait. L’enjeu de Sigfox est de contrebalancer l’hégémonie américaine et chinoise ». Sigfox a lancé aussi une fondation qui s’occupe, par exemple, de sauver des rhinocéros grâce à des capteurs. « Dans une entreprise, il faut rendre l’argent aux actionnaires avec des bénéfices mais aussi se battre pour des causes », estime l’entrepreneur.
Publié par Julien Bouillé le 9 décembre 2019 https://abonne.lunion.fr/
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- @frenchweb · 15 nov. 2019
Ludovic Le Moan (@sigfox) : « Personne ne parlait de bas débit avant nous, les autres sont venus par opportunisme »
https://www.frenchweb.fr/ludovic-le-moan-sigfox-personne-ne-parlait-de-bas-debit-avant-nous-les-autres-sont-venus-par-opportunisme/383788
Pour en savoir plus :
Valérie Randé Femme de réseau
Philippe Coste : French Tech Toulouse. « Désormais, nous nous parlons ! »
Toulouse labellisée Capitale French Tech le 03 avril 2019
Comment de zéro de conduite à l’école, Ludovic Le Moan est devenu une étoile de la French Tech avec Sigfox le 9 décembre 2019