A Bordeaux, Treefrog Therapeutics, une usine à cellules souches ouvre la voie aux thérapies cellulaires en janvier 2020. Des cellules souches cardiaques « programmées » et cultivé pour les multiplier..

, dans le réseau de Raphael Nieto, Xavier Lainé

Treefrog Therapeutics à Bordeaux, a mis au point un nouveau procédé qui permet de fabriquer des cellules souches très rapidement et à grande échelle. Les cellules souches sont utilisées dans le traitement de nombreuses maladies et permettent une régénération plus rapide des tissus. La start-up TreeFrog, récemment sélectionnée dans le programme French Tech 120, fait partie des plus belles pépites françaises du secteur de la biotech.


Dans le microscope : des cellules cardiaques qui se contractent à un rythme régulier. Ces cellules ont été « programmées » dans le laboratoire de la start-up TreeFrog, installée dans les locaux de l’Ecole nationale supérieure de technologie des biomolécules de Bordeaux (ENSTBB). Et d’ici quelques années, elles pourraient changer la vie de centaines de milliers de patients victimes d’infarctus et dont le cœur est défaillant. Ici les chercheurs se préparent à l’essor des thérapies cellulaires en mettant au point une usine à cellules souches. Ces dernières années, les premières thérapies cellulaires ont été mises sur le marché et de nombreux autres traitements sont en phase de tests cliniques, notamment au Japon et aux Etats-Unis.

« Pour l’heure, les laboratoires académiques fabriquent leurs stocks de cellules souches à la main dans des boîtes de Petri, raconte Kevin Alessandri, physicien et cofondateur de TreeFrog. Mais dans quelques années, tout l’enjeu sera de réussir à en produire à l’échelle industrielle sans détériorer la qualité des cellules pour soutenir la demande des laboratoires pharmaceutiques. » Un cap qu’aucune équipe dans le monde n’a encore réussi à passer. Sauf cette équipe de Bordelais, qui vient d’être sélectionnée dans le programme French Tech 120 et qui est sur le point de réussir son pari.


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Maxime Feyeux et Kevin Alessandri , les deux cofondateurs de Treefrog Therapeutics, une usine à cellules souches qui ouvre la voie aux thérapies cellulaires.. Crédit Treefrog Therapeutics

Une cuve de 10 litres pour soigner l’Europe

Kevin Alessandri et Maxime Feyeux, les deux cofondateurs, se sont rencontrés en Suisse en 2013. Tous deux normaliens, docteurs en physique et biologie, ils ont décidé de revenir en France deux ans plus tard pour créer leur société. La start-up, qui a bénéficié du soutien de la région Nouvelle-Aquitaine, de la BPI et de l’Etat, a levé plus de 7 millions d’euros en 2019 pour poursuivre le développement de C-Stem, une plate-forme technologique fondée sur la culture cellulaire en 3D.

Dans leur salle de culture, qui ne fait pas plus de 10 m2, le bioréacteur de 1 litre fait l’objet de toutes les attentions. C’est dans cette cuve, « dérivée d’une cuve à bière  », précise Kevin Alessandri avec humour, que la vingtaine de salariés que compte désormais la start-up cultivent les précieuses cellules souches. Pour augmenter les rendements sans détériorer la qualité des cellules, les deux fondateurs ont eu l’idée de les encapsuler dans des sphères d’alginate du diamètre d’un cheveu, une membrane fabriquée à base d’algues.

« Schématiquement, les petites billes sont plongées dans le bioréacteur qui contient un substrat nourrissant, détaille le chercheur. Bien protégées par cette membrane, les cellules vont alors se multiplier. Nous n’avons plus qu’à les récupérer et les programmer pour devenir des neurones, des cellules de foie ou de cœur. » Pour l’heure, un lot de cellules souches produit dans la cuve de 1 litre permettrait de soigner 400 patients atteints de Parkinson et le modèle au-dessus, une cuve de 10 litres, que l’équipe est en train de développer, pourrait permettre de traiter toute l’Europe.

Des cellules reprogrammables

Pour prendre la mesure de la révolution qui s’annonce, la thérapie cellulaire s’appuie sur le principe que nous pourrions régénérer les cellules défaillantes de notre organisme en injectant de nouvelles cellules en bonne santé dans l’organe malade. Jusqu’ici, ces thérapies butaient sur l’approvisionnement en matière première qui posait de nombreuses questions éthiques. L’essor de la recherche sur ces thérapies s’appuie sur les travaux de Shinya Yamanaka et John Gurdon, qui ont reçu le prix Nobel de médecine en 2012 pour leur découverte sur les cellules souches pluripotentes induites (CSPi).

«  Ils ont montré qu’il était possible de reprogrammer une cellule adulte, prélevée dans le sang ou sur la peau pour qu’elle redevienne une cellule souche capable de se transformer en n’importe quelle cellule spécialisée  », détaille Maxime Feyeux, biologiste et cofondateur de TreeFrog. Revenue à son état initial, la cellule peut ensuite être transformée en cellule de foie, de cœur, de cerveau, etc. « Pour cela, nous jouons sur le milieu de culture de la cellule, poursuit Maxime Feyeux. En fonction des protéines et molécules chimiques présentes, la cellule va comprendre quelle spécialisation elle doit adopter. Nous nous appuyons sur des années de recherche fondamentale, issues notamment des meilleurs laboratoires français, comme I-Stem, l’Institut Imagine, et bien évidemment de laboratoires internationaux. Toutes ces connaissances s’appuyant elles-mêmes sur les épaules d’autres géants comme Spemann et Mangold. »

La cellule devient le médicament

Parmi les premiers traitements de thérapie cellulaire, se trouvent les cellules CAR-T, utilisées pour l’instant dans le traitement de la leucémie pour l’enfant et le jeune adulte et de lymphomes de l’adulte. La stratégie consiste à prélever sur le patient des globules blancs spécialisés dans la reconnaissance et la destruction des cellules pathogènes (des lymphocytes T), puis de les booster en modifiant leur patrimoine génétique, de les multiplier et enfin de les réinjecter au patient. Les cellules tumorales sont alors détruites par ces soldats programmés sur mesure.

«  Il existe aussi des nouveaux traitements pour les cas les plus graves de la maladie de Crohn, détaille Maxime Feyeux. Que ce soit les CAR-T pour les cancers, ou le traitement de la maladie de Crohn, la cellule est injectée mais n’a pas vocation à rester dans l’organisme. Une fois qu’elle a fait son action, elle se dégrade. Les cellules souches sur lesquelles nous travaillons sont différentes car elles sont véritablement le médicament et remplacent durablement les cellules défaillantes dans l’organisme.  »

Pour tester la qualité de ses cellules souches, TreeFrog travaille en partenariat avec le chercheur Erwan Bezard, directeur de l’Institut des maladies neurodégénératives de Bordeaux. En 2018, les équipes ont réussi une première mondiale en injectant des neurones tout neufs, produits par TreeFrog, dans le cerveau d’un rat atteint par la maladie de Parkinson. Au bout de quatre semaines, le rat avait retrouvé une mobilité normale.


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Sphères d’alginate qui contiennent les cellules souches pour les protéger lors de la multiplication. Crédit Treefrog Therapeutics

Une réponse au vieillissement de la population

Plusieurs laboratoires travaillent actuellement dans le monde sur le développement de traitements pour quatre types de maladies : Parkinson et la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), qui correspond à une dégradation d’une partie de la rétine et touche 25 à 30 % des plus de 75 ans, actuellement en phase de tests cliniques au Japon. Le traitement du diabète de type 1 qui concerne des millions d’enfants dans le monde chaque année, bientôt en phase de tests. Et l’infarctus du myocarde, qui touche 80 000 personnes par an en France.

«  Le traitement est également en essais cliniques au Japon. Il suffit de 30 % de cellules fonctionnelles pour que le patient reprenne une vie normale. Avec le vieillissement de la population, les enjeux socio-économiques des thérapies cellulaires sont énormes », s’enthousiasme Kevin Alessandri. Et les investisseurs ne s’y sont pas trompés. En 2019, la société américaine Semma Therapeutics, qui développe une thérapie pour le diabète de type 1, a été rachetée pour 950 millions de dollars (861 millions d’euros), alors que les tests cliniques n’ont pas encore commencé. L’autre géant BlueRock Therapeutics, positionné sur le traitement de la maladie de Parkinson, a été racheté lors de l’été 2019 par Bayer et valorisé à 1 milliard de dollars.

Face à ces mastodontes, les deux fondateurs de TreeFrog, Kevin Alessandri et Maxime Feyeux, voient grand. Tout juste sélectionnée le 20 janvier 2020 par le programme French Tech 120 du gouvernement, la start-up va bénéficier d’un accompagnement spécifique pour soutenir son hypercroissance. « D’ici à 2022, nous voulons être en capacité de produire des cellules en grandes quantités de manière parfaitement normée pour lancer les tests cliniques. Nous avons une longueur d’avance mais nous ne sommes pas les seuls à vouloir lever ce verrou technologique », conclut Maxime Feyeux. Prochaine étape : réaliser une levée de fonds ambitieuse pour ten tête aux laboratoires pharmaceutiques.

L’équipe de TreeFrog Therapeutics participera au Festival de l’innovation en Nouvelle-Aquitaine, les 9 et 10 avril 2020, organisé par la région Nouvelle-Aquitaine, en partenariat avec Le Monde.

Programme et inscriptions ici

Julia Zimmerlich

Publié par Julia Zimmerlich le 31 janvier 2020 dans https://www.lemonde.fr


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